Mon plaidoyer Trano Gasy CHRONIQUE DE VANF

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Mon plaidoyer Trano Gasy CHRONIQUE DE VANF

Le Malgache de Tananarive qui, aujourd’hui, parle de TRANO GASY (maison malgache) n’emploie pas gasy avec la connotation péjorative qu’on donnait à ce dimunitif de malagasy, apparu pendant la colonisation. Gasy renvoyait alors à l’idée d’imperfection et servait, par exemple, pour qualifier des objets de mauvaise facture. Dans cette acception, TRANO GASY aurait pu désigner la case indigène du lexique colonial, une modeste maison en terre battue, mal entretenue : image bien différente de celle qui, en notre temps, vient à l’esprit d’un Malgache évoquant l’architecture des habitations en Imerina. Belle construction, la TRANO GASY se distingue de la maison cossue des années 1950-1960, aux murs quelquesfois enduits de ciment, pourvue d’un toit en terrasse ou en tôle avec quatre pentes, sinon, par souci d’économie, à une seule pente, comme la couverture d’un cabinet d’aisance, dit-on avec une pointe d’ironie. La TRANO GASY diffère également des banlieues résidentielles de l’Occident, un modèle fréquemment repris par la bourgeoisie, même en ville, à partir des années 1970. La TRANO GASY a toujours un étage, des combles et des murs en briques apparentes, sinon badigeonnées en rouge basque ou dans les tons de la terre d’Imerina. Elle se caractérise aussi par un plan rectangulaire simple ou, dans un style plus recherché, par un plan en L (trano sokera, maison en équerre), un toit en tuiles à double pente, une varangue soutenue par des piliers, quelquefois en pierre de taille. Mais, sont également dites TRANO GASY les demeures des premières décennies du XXème siècle, avec les arcs de la varangue et les tours carrées. Ces habitations situées, pour la plupart, dans la Ville Moyenne qui s’est développée durant la colonisation et les «maisons missionnaires» des collines les plus hautes de la cité royale servent de référence aux Tananariviens contemporains, qui pensent construire «dans la tradition».

Mon plaidoyer Trano Gasy CHRONIQUE DE VANF

Cette longue citation de Faranirina Rajaonah («La lecture d’une historienne», postface au livre de Didier Nativel, «Maisons royales et demeures des grands à Madagascar», Karthala, 2005) était indispensable pour situer dans la nomenclature la Trano Gasy victime des flammes, ce weekend, à Ankadifotsy.

Il est vrai que le Tananarivien n’a pas besoin qu’on lui définisse la Trano Gasy : il lui suffit de leur spectacle familier pour renouveler son identification tranquille. Trop tranquille et pas assez attentif : les murs bricolés, le pignon évasé, la pente du toit affaiblie. Résignés au marasme socio-économique, nous nous sommes habitués à ce que les Trano Gasy, que passent en revue les rues d’Ankadifotsy, d’Ambondrona, de Besarety, voient leur rez-de-chaussée emmuré pour improviser l’épicerie ou la boutique qui assure le quotidien.

Depuis Antaninandro, en passant Ankaditapaka et Ambatomitsangana, jusqu’à Ankadifotsy et Antanimena, elles étaient là ces Trano Gasy à tour carrée : l’absence de politique patrimoniale en a déjà effacé quelques-unes, ou leur a imposé le voisinage d’un cube de verre ou d’une malheureuse improvisation en béton.

Comme pour un membre de la famille, on ne s’émeut que dans le malheur. Souvent, comme ce fut le cas pour la «Tranon-dRainimboay» à Ambatomitsangana, il est déjà trop tard (2003). Parfois, l’irréparable n’est pas encore consommé, à la condition de tout de suite s’occuper de la «Tranon-dRainianjalahy» à Manjakaray. Et de la tombe dans le même domaine.

Certains n’ont pas oublié que Rainandriamampandry avait été fusillé par Gallieni, le 15 octobre 1896, mais personne ne se soucie de la tombe du héros à Ankadifotsy. La toponymie indique machinalement AmpasandRatsarahoby, mais la destination en est une école éponyme. À Soarano, un formidable tombeau de facture labordienne ponctua longtemps le carrefour avant que querelles privées et indifférence publique n’emportent ensemble la Trano Gasy et son Fasana.

L’espoir est ténu, en hibernation dans la nostalgie de ces photos anciennes d’Antananarivo, et de l’Imerina, et des Hautes Terres centrales, qu’on se partage sur les nombreuses pages Facebook : «Comme c’était beau avant. Et qu’est-elle devenue cette superbe Trano Gasy ?». Émotion, pédagogie, action : la Ville d’Antananarivo lance ce concours, «Ny Foko sy Ny Tany», d’inventaire et de valorisation du patrimoine bâti d’une Capitale bien fatiguée. Il n’est jamais trop tard.

(Illustration : Typologie de Testa)

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